Texte Jean-Louis Basset • Photos Laurent Scavone pour Moto Heroes
Si on vous dit « Florent Pagny », vous allez répondre à coup sûr « le chanteur » ou « le coach de The Voice »… Ce serait dommage de lui coller ces étiquettes en oubliant le motard passionné de belles anglaises et le chef d’entreprise.
Au tout début était l’acteur. Un petit jeune au look un peu voyou qui doit tourner un spot pour sensibiliser les appelés du contingent au danger de la conduite moto. « Je devais faire tout ce qu’il ne fallait pas faire au guidon d’une moto puis montrer la bonne conduite à tenir. » explique Florent. « Quinze jours avant le début du tournage, on me demande mon permis. Mais j’ai pas de permis ! » Ça ne commençait pas bien. Le jeune Florent est expédié à Montlhéry pour un stage intensif où il roule du matin au soir. Il en ressort avec le permis en poche et peut entamer sa carrière dans le cinéma. A ce moment-là, Florent ne possède pas encore de moto et il roule avec un trail un peu trop haut pour lui, prêté par Honda. Lassé de se casser la figure, Florent rend la Honda et s’offre une Thunderbird 6T, un classique de chez Triumph. « J’avais déjà beaucoup d’affinités avec le Vintage. » commente Florent. Le jeune homme utilise cette machine au quotidien, ce qui peut se traduire par « Une moto est faire pour rouler », proverbe auquel il faut ajouter « Je plains le motard qui n’a jamais eu le plaisir de pousser une Triumph. »
Avec la sortie de la 883, Florent Pagny tombe sous le charme des Harley Davidson mais détruit le petit v-twin sur le périphérique. C’est le métier qui rentre (celui de motard, bien sûr) et Florent s’offre un vieux « 1000 fonte » de 1971 avec ses premiers cachets. Il se rappelle toutefois que le Sportster ne freine pas, que la poignée de gaz est dure et qu’il le possède toujours, 38 ans après son acquisition… Florent serait-il un « vrai » passionné ? C’est surement une des qualités de ce personnage public.
« Je suis devenu fou. » explique Florent. « On partait avec des potes pour acheter des motos au fin fond de la campagne anglaise. »
Un peu après ses débuts en moto américaine, Florent Pagny entame une carrière de chanteur et le succès lui tombe dessus. « Là, je me suis un peu enflammé et j’ai acheté beaucoup de Harley. » confesse Florent. Vendue une par une, ses belles américaines lui serviront à traverser un passage à vide sur le plan professionnel. Florent avoue lui-même qu’il est atteint de « collectionnite aigüe » : les motos, les blousons, les casques, les briquets, les montres… « A un moment, je suis insatiable mais ça me motive pour travailler et accéder à mes rêves. » Florent explique cela par le fait qu’il n’a jamais eu de vélo quand il était enfant alors, depuis, il essaye de rattraper le temps perdu ! Après la période Harley, Florent est revenu aux fondamentaux en récupérant la Triumph Trident de Coluche. « A ce moment-là, je venais de faire l’acquisition d’une TT de 1966 et je me suis retrouvé avec trois Triumph rares. » confie l’amateur de vieilles Anglaises. Dès lors, Florent n’aura de cesse de réunir les machines les plus marquantes de la marque depuis 1915. « Je suis devenu fou. » explique Florent. « On partait avec des potes pour acheter des motos au fin fond de la campagne anglaise. »
La rencontre avec Mister « Vincent »
Il y a une quinzaine d’années, Florent se baladait à Rétromobile et tombait en arrêt devant une machine belle à couper le souffle. « Je me renseigne et Patrick Godet me raconte toute l’histoire de l’Egli-Vincent café racer. » « J’en veux une ! » est la réponse enthousiaste du motard en cuir noir. Patrick Godet le refroidit instantanément en annonçant un an de délai. « Au bout d’une longue année, Patrick m’annonce qu’il a un problème, même plusieurs… » se souvient Florent Pagny. Non seulement il n’était plus en mesure de livrer la moto mais il ne pouvait plus lui rembourser l’acompte versé car il était sur le point de déposer le bilan. Florent Pagny se souvient que, lui aussi, sa carrière a connu un gros creux. A ce moment-là, il avait pris un petit bureau à Issy-les-Moulineaux, monté une société pour produire ses spectacles et commencé à apprendre « comment ça marche ». « Je me suis retrouvé tellement englué dans une situation catastrophique que j’ai dû apprendre pour reprendre les choses en main. » Florent a compris qu’il fallait les « bonnes » personnes pour gérer une boite. « Comme ma société commençait à marcher, j’ai proposé à Patrick de venir voir comment fonctionnait sa propre entreprise. »
Après quelques discussions, Florent décide d’aider Patrick Godet. « Je pensais mettre 50 000 €, j’ai mis beaucoup plus ! » se remémore Florent en se marrant. « Mais c’était ma ‘danseuse’. Si je laissais faire Patrick, il m’emmenait toujours plus loin ! » A un moment, Florent Pagny dit stop. « Son entreprise était compliquée et il ne me laissait pas la gérer avec lui. » Tout l’argent qui rentrait était aussitôt investi en pièces, en homologation, dans la compétition et Patrick Godet ne pouvait pas se projeter très loin car on ne vend pas des motos à 85 000 € tous les jours ! « Je ne pouvais pas être l’actionnaire principal et ne pas posséder au moins une Black Shadow. » Florent propose alors un nouveau deal à Patrick : tu me trouves les « bonnes » Vincent et je les fait restaurer ici. Philanthrope et passionné, certes, mais, au moins, il resterait à Florent quelque chose de son investissement. Il est heureux de dire que cela a fait tourner l’atelier à des moments creux et qu’il possède quelques belles Vincent dans son garage. Et puis, un jour de novembre 2018, on prévient Florent que Patrick est « parti ».
Difficile d’imaginer la suite de Godet Motorcycles sans Patrick Godet, un personnage attachant et rugueux dont l’intransigeance avait permis de continuer à fabriquer des Vincent. Difficile aussi pour Florent Pagny de se retrouver du jour au lendemain avec une boite à faire tourner. Deux ans après la disparition de Patrick Godet, la jeune équipe qu’il avait constituée a digéré ce sale moment et Florent Pagny s’est installé dans son rôle d’héritier moral. Il s’est investi dans le pilotage de cette enseigne aussi réputée que fragile. Avec l’aide de Teodora, sa collaboratrice qui a abandonné le show-biz pour la moto, Florent a réorganisé les choses avec le bon sens d’un gestionnaire. « Au moment où j’ai repris les manettes, il y avait 17 motos en commande dont la Grey Flash que Brad Pitt avait commandé deux ans auparavant. » explique Florent en souriant. « Patrick rêvait que Brad passe à Malaunay. Malheureusement, Mr Pitt a des obligations et il n’est jamais revenu en Normandie. » Alors, Patrick ne se pressait pas pour mettre en chantier la Grey Flash. Il était comme ça le pape français de la Vincent ! « On a vite livré la moto de Brad mais il ne l’attendait plus et on est passé à côté de quelque chose. » déplore le nouveau patron.
Aujourd’hui, la situation s’est également assainie sur le volet de la restauration, une activité importante de l’atelier. « A une époque, une machine qui rentrait ici pouvait en ressortir 4 ou 5 ans après. »
C’était juste supportable parce que Godet bénéficiait d’une réputation planétaire. Rappelons-nous que la moto « la plus chère du monde » (la Black Lightning Serie C de Jack Ehret vendue 929 000 $) a été restaurée ici-même. Mais cela n’était pas raisonnable et le délai a été ramené à six mois en y consacrant les ressources nécessaires. Il y aura toujours des Vincent à refaire ou à entretenir mais les normes Euro 5 ne peuvent que rétrécir les ambitions du petit artisan.
« On a deux ans pour savoir ce qu’on va devenir. » s’interroge Florent. Se repositionner sur la restauration ou la construction de machines non homologuées ou bien créer sa propre niche de marché… Toutes les solutions sont envisagées et Florent Pagny avait fait la route jusqu’à Malaunay avec une moto électrique pour voir. Comment imaginer une Vincent motorisée par autre chose que ce fabuleux v-twin tellement en avance sur son temps ? Peut-être en regardant ce que Jaguar avait imaginé pour les « vieilles » Type E. Le projet de conversion en mode électrique des Type E dans ses ateliers avait soulevé beaucoup d’enthousiasme auprès des propriétaires. Le projet a été abandonné depuis mais la technologie des batteries progressent à pas de géant. Au bout d’une heure et demie de discussion à bâtons rompus, Florent Pagny nous a emmené admirer son nouveau joujou : une Black Shadow restaurée « concours » qu’il l’attendait depuis trois ans. Il tourne autour, discute avec les gars du galbe des échappements et savoure le moment où il va la démarrer pour la première fois. De « good vibes » envahissent l’atmosphère…